Henk Baars est représentant de l'Association Mariënburg Vereniging, groupe membre hollandais d'EN-RE.
"Strasbourg 28-31 octobre 2019 Conseil de l'Europe
Nous logeons chez les Oblats de Marie Immaculée. A première vue un bâtiment de type années soixante-dix, mais mal en point. Ils comptent d'ailleurs construire quelque chose de nouveau dans leur cour et démolir ce bâtiment. Ma semaine sur place me confirme que c'est la meilleure chose à faire. Le bâtiment est occupé par des Oblats octogénaires et n'est plus bien entretenu. Certains Oblats parlent anglais et l'un d'entre eux ressemble beaucoup au pape actuel. Il le sait et nous en rions régulièrement : pas besoin de nous agenouiller devant lui ! Les pères vivent très simplement, leurs chambres sont celles de célibataires très austères. Certains d'entre eux ont encore une activité bénévole dans la ville, alors que l'état de santé d'autres est très précaire. Il y a aussi là quelques prêtres africains qui étudient la théologie à Strasbourg. Hugo Castelli et moi, dormons dans des chambres tout en haut du bâtiment. Nous avons un étage entier pour nous. Hugo est le co-représentant espagnol de l'ONG pour laquelle nous sommes là : le Réseau Européen Eglises et Libertés, EN-RE, un réseau catholique critique dont l'Association Mariënburg est membre depuis de nombreuses années, et qui a obtenu le statut d'ONG associée au Conseil de l'Europe. Logent également là des membres d'Andante, une organisation faîtière de mouvements catholiques féminins européens. Elles viennent des Pays-Bas, d'Allemagne et d'Angleterre. J'interviewerai plus tard l'une d'elles pour le magazine de Mariënburg. Elles suivent encore de près les résultats du Synode de l'Amazonie qui, pour les Néerlandais, a plus ou moins perdu tout intérêt : tout cela a pris trop de temps et nous ne croyons plus en la possibilité de réels changements. L'intérêt demeure par contre pour les nombreuses questions de société que traite la Conférence des OING*. Etc'est pour cela que nous sommes à Strasbourg, et que le RE-EN a été fondé : un réseau catholique qui se concentre sur les questions de société.
Nous sommes donc ici à la grande rencontre de près de 350 ONG de toute l'Europe qui donnent leur avis au Conseil de l'Europe et essaient de
donner une voix à ce gigantesque réseau d'organisations généralement bénévoles qui chacune à sa façon s'occupe de droits humains, des relations démocratiques, des questions de genre, des abus de pouvoir et de la corruption. Si on le veut, on peut vraiment exercer une influence ici, mais pour cette première fois, je me sens plutôt en stage dans cet ensemble. Je réalise que Hugo Castelli (Espagne) et avant cela François Becker (France) ont fait beaucoup dans les nombreux groupes de travail qui existent. J'essaie de prendre part au plus grand nombre, mais resterai loin d'avoir une vue sur tout. Comme partout, les choses passent toujours par les gens que l'on apprend à connaître. Comprendre qui est qui est très important. J'ai fabriqué des cartes de visite pour l'occasion et je me retrouve vite à court. Cela étant, quels sont et ont été les points forts ? On a beaucoup parlé d'un changement majeur de structure, grâce auquel la réunion aura un peu plus d'influence sur le Conseil de l'Europe¹. Mais pour cela il faudra être davantage au courant, ce que je ne suis pas encore.
Je vous emmène pour un survol de la session. Une forte contribution est fournie par le groupe de travail sur l'égalité de genre. Ils se manifestent activement à chaque réunion car l'égalité est loin d'être acquise dans tous les domaines. Un sujet comme la prostitution divise encore l'assemblée, car tout le monde n'utilise pas la même définition concernant, par exemple, la traite des femmes. Mais le genre ne concerne pas que les femmes. Le Néerlandais Simon Matthijsen est président de l'importante Commission des droits humains. Intérêt et attentes sont très hauts lors de cette grande réunion, surtout lorsqu'un représentant kurde prend la parole. Le parti kurde n'est en réalité représenté nulle part en Europe. Fayik Yagizay plaide en faveur d'une large conférence de paix. Le genre ? Chez les Kurdes, il y a toujours deux maires : une femme et un homme ! Ensuite, le sujet de la haine est abordé. Dans plusieurs pays, il y a déjà une loi. Aux Pays-Bas, on dirait qu'ils n'y travaillent pas. Il est frappant que partout en Europe, il y a un appel fort pour le logement des personnes vulnérables. Aux Pays-Bas, par exemple, pour les sans abri qui, de plus en plus nombreux, vivent dans la rue. Mais il devient également évident que les Pays-Bas sont très en retard dans l'accueil des migrants. La France et l'Allemagne ont beaucoup plus d'expérience dans ce domaine.
Il y a aussi un moment pour les rapports nationaux. La Roumanie et l'Italie rendent compte de leurs progrès démocratiques en présence des différents ambassadeurs. C'est parfois douloureux à entendre. L'ambassadeur roumain a ainsi été visiblement atteint par le rapport des ONG locales. Explication de sa part : nous ne réalisons pas à quel point la corruption est profondément enracinée dans la culture. C'est un peu comme l'utsage d'un couteau et d'une fourchette. A ce point ordinaire et accepté. Et des mythes sont réfutés, par exemple les mythes qui entourent les flux de migrants. La plupart des migrants ne veulent pas du tout quitter leur chez eux. Chaque fois, la seule cause, c'est la guerre et la violation flagrante des droits humains. Les gens fuient les risques importants. Tout le monde le fait. Les victimes climatiques, par exemple, ne viennent pas en Europe. En Italie, la population ne sait pas vraiment pourquoi elle est contre les migrants. Et puis, bien sûr, la discussion sur l'identité européenne. L'Europe, c'est avant tout la diversité. Que serait une identité moderne de l'Europe ? Aujourd'hui, tous les pays membres ont plus ou moins les mêmes problèmes. En tout cas, beaucoup sont d'avis que le libéralisme en tant que philosophie de base est dans une impasse. Le Brexit n'est pas vraiment abordé, mais on constate quand même que les citoyens européens ne parlent pas vraiment aux citoyens anglais. Seuls le font les politiciens.
Dans le groupe de travail sur la pauvreté, j'amène la question du logement. Cela devient un problème partout en Europe. N'avoir pas de logement, ou un logement ne correspondant pas à ses besoins, est une cause majeure de pauvreté. C'est en définitive un droit humain. Je continuerai à suivre ce groupe de travail et j'apporterai ma contribution au nom de Mariënburg.
Pour conclure. Il me reste huit pages de notes dont je n'ai encore rien dit. C'est trop pour un seul article, mais cela fait bien apparaître que, du côté du Conseil de l'Europe, l'Europe vit. En même temps que la réunion des OING, se tenait un congrès de plusieurs centaines de maires de toute l'Europe², ainsi que du Japon, de la Russie et de la Turquie, sur la défense de la démocratie dans les villes et les villages. Il y a en permanence à Strasbourg ce genre de congrès dont peu de gens entendent parler, mais qui tissent des liens extrêmement importants pour la cohésion de l'Europe. Travailler à cette cohésion est avant tout une affaire de citoyens qui, chacun dans ses idéaux, apprennent à se connaître et qui travaillent à des programmes communs.
Lors de la séance de clôture, on joue l'Hymne à la Joie. Tout le monde se lève. Moment d'émotion.
Henk Baars
* OING : Organisations internationales non gouvernementales
** EN : European Network Church on the Move
Notes de Hugo Castelli Eyre :
¹ Il y a souvent confusion entre le Conseil européen (l'organisation des chefs de gouvernement de l'UE) et le Conseil de l'Europe qui s'occupe des droits humains (dans une récente plenière et à l'initiative d'Anne Nègre, vice-présidente de la Conférence des OING et chargée de l'égalité entre femmes et hommes, la Conférence a adopté la terminologie Droits humains au lieu de Droits de l'homme),
² Il s'agit du Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux, une institution membre du Quadrilogue du Conseil de l'Europe, avec la Conférence des OING, l'Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres (des affaires étrangères des 47 États membres du Conseil de l'Europe).
Traduction relue et adaptée par Sylvie Kempgens